Le 28 février, les élèves de 2D3, accompagnés par Madame Trajan (lettres) et Madame Bouger (documentation), ont rencontré Elisa Shua-Dusapin et Elitza Gueorguieva à la médiathèque Marguerite-Duras, à Paris. Ils ont ainsi pu interroger les autrices sur leur travail et sur leurs œuvres, sélectionnées pour le Prix des lycéens Folio 2020.
Bamby : « Pourquoi avez-vous commencé à écrire ? » Elisa Shua-Dusapin : « J’ai toujours eu besoin d’écrire, mais quand je suis arrivée au lycée, j’ai éprouvé un sentiment d’urgence. Mon professeur de français m’a beaucoup encouragée, il a eu un rôle déterminant. J’ai commencé à écrire Hiver à Sokcho au lycée. »
Sabrina [avait préparé la question suivante, qui a finalement été posée par un.e élève d’un autre établissement] : « Pourquoi avez-vous écrit votre roman en français ? » et Inas : « Comment avez-vous fait pour arriver au bout de votre projet ? » : » Elitza Gueorguieva : « Je suis arrivée en France à 18 ans, sans parler français, et je me suis d’abord tournée vers des études de cinéma et de théâtre. J’ai repris des études de lettres à l’âge de 29 ans, en choisissant un master en création littéraire qui impliquait l’écriture d’un roman. Je voulais écrire une histoire personnelle, mais aussi faire connaître l’histoire de la Bulgarie de manière ludique et humoristique. C’était difficile d’écrire en français, car ce n’est pas ma langue maternelle, mais j’étais motivée et je devais finir le texte pour valider mon master. »
Yasmin : « Pourquoi l’héroïne du roman n’est-elle pas nommée ? » Elisa Shua-Dusapin : « Je n’ai pas réussi à lui trouver un nom qui me plaisait, et je l’imaginais sous la forme d’une silhouette, floue. Je l’ai donc laissée sans prénom. Les premiers retours des lecteurs m’ont fourni une explication a posteriori : cette jeune femme n’est pas vraiment vivante, elle ne sait pas qui elle est, n’existe pas vraiment. D’où l’absence de nom, d’identité fixée. »
Mohamed : « Pourquoi avez-vous écrit votre roman à la deuxième personne du singulier? » Elitza Gueorguieva : » C’est ma question préférée ! Mon roman comporte une part d’inspiration autobiographique, mais aussi une grande partie fictionnelle : j’avais donc du mal à utiliser la première personne. A l’époque, j’ai lu plusieurs livres écrits à la deuxième personne : ce procédé m’a plu, car il permettait d’établir une distance avec le personnage, il était propice à l’humour et à la dimension ludique que je voulais instaurer. Enfin, j’ai retrouvé le journal que mon père avait écrit en s’adressant à moi à la deuxième personne quand j’étais enfant : Aujourd’hui tu as fait telle bêtise… «
Ménémane : « Quelle est la part de la fiction dans votre roman ? » Elitza Gueorguieva : « J’écris, mais je réalise aussi des documentaires. Mon livre avait d’abord un objectif documentaire : je voulais faire comprendre la vie au moment de la chute du communisme. J’ai effectué beaucoup de recherches sur la période soviétique et sur l’époque qui a suivi. La fiction concerne surtout l’héroïne et son entourage : j’ai caricaturé ma mère, par exemple. Et je n’ai jamais voulu être cosmonaute, car ma génération, contrairement à celle de mes parents, était plutôt caractérisée par le rejet de tous les symboles soviétiques et de la langue russe. »
Benjamin : « Comment deux personnages qui ont des cultures si différentes, peuvent-ils avoir une attirance si forte ? » Elisa Shua-Dusapin : « L’héroïne et le dessinateur ont un point commun : leur mal-être, leur solitude. Leur rencontre ne se conclut pas sur une histoire d’amour, mais chacun apporte quelque chose à l’autre, en l’aidant à être présent au monde. »
Enes et Mohamed-Lofti : « Pour créer votre univers coréen, vous êtes-vous appuyée sur une recherche documentaire ou sur votre propre expérience ? » Elisa Shua-Dusapin : « Je me suis documentée sur la cuisine, la préparation du poisson. Mais sinon, je me suis inspirée de mes souvenirs. Je suis toujours allée régulièrement en Corée, j’y passais plusieurs semaines, j’y ai même suivi des études universitaires. Donc j’avais des souvenirs : je suis allée à Sokcho un hiver. Les plages m’ont rappelé les plages normandes de mon enfance, et le lieu correspondait à l’intériorité de la narratrice. Autre exemple, à l’université, j’ai été frappée par le nombre de gens qui envisageaient de recourir à la chirurgie esthétique pour modifier leur visage : en Corée, c’est une pratique très fréquente et valorisée. Cela m’a surprise, et j’ai voulu en parler dans mon livre «
Sabrina : « Comment avez-vous vécu le succès rencontré par vos livres ? » Elisa Shua-Dusapin : « J’ai été très étonnée. Quand j’ai écrit ce texte, je ne pensais pas le publier un jour. Je ne l’ai envoyé qu’à quatre éditeurs, poussée par mon professeur de français. Le succès a été déstabilisant au début, j’ai dû arrêter mes études pour pouvoir assurer la promotion du livre, notamment à l’étranger. Moi qui étais à l’aise en public quand je faisais du théâtre, j’ai eu des moments de panique avant des passages à la télévision (je ne jouais plus un personnage, je devais me montrer moi). Il me semblait qu’écrire n’était pas un métier, que je ne pouvais pas me qualifier d’écrivain. Maintenant, je commence à arriver à le faire. » Elitza Gueorguieva : « Pour moi aussi, le succès a été déstabilisant, même si c’est heureux. Du jour au lendemain, on devient une personne publique, je me suis interrogée sur l’apparence physique que je devais avoir, sur la nécessité de prendre un pseudonyme… On passe brutalement de l’écriture, qui est une période de grande intimité, à la promotion, où on est tout le temps en représentation. Les critiques, les journalistes s’approprient votre texte. Heureusement, on m’a proposé des résidences d’écrivains, ce qui me permet de retrouver un calme et une solitude propices à la création. »
L’échange, que les élèves avaient soigneusement préparé en cours de français, a été suivi d’une séance de dédicaces.